Effets nuisibles de la ferrure

par Antje Lücke

Le fer étant un matériel rigide, il met le sabot dans une espèce de camisole de force. Comme on a pu voir, le sabot ne se dilate pas uniquement au niveau des talons mais presque partout. Cette dilatation est empêchée par le fer; à la limite, les talons peuvent encore bouger, mais ce n'est même pas sûr. Regardons l'image suivante:

 

Si les talons frottaient vraiment sur les branches des fers, le frottement ne laisserait pas de traces aussi aiguës, vous ne pensez pas?

 

De plus, la fourchette ne peut pas toucher le sol, de sorte que le coussinet plantaire ne peut pas jouer son rôle de pompe et d'amortisseur, ce qui fait que le flux sanguin est très réduit. La chair veloutée ne peut plus se rétrécir et se dilater et l'os du pied ne peut plus s'abaisser assez car la sole a perdu sa souplesse, conséquence du mouvement latéral rendu impossible.

 

Mouvements du sabot ferré

De ce fait, le sabot est privé de sa fonction d'amortisseur et le choc que subit le sabot en touchant le sol est répercuté vers tendons, os et ligaments, ce qui a des conséquences négatives à long terme. Le coussinet plantaire ne peut plus soutenir le coeur et alimenter les membres de sang. Idem pour la chair feuilletée.

Le fer coince la boîte cornée et surtout la fourchette. En regardant encore une fois les images des pieds de mustang et la photo suivante, on s'aperçoit qu'au milieu de la fourchette se trouve une petite fente, la lacune médiane. Si celle-ci est bien large et va jusqu'aux glômes, c‘est signe que le sabot est "ouvert" et se trouve donc dans sa forme naturelle.

 

Le sabot "parfait"

Or, chez un sabot ferré, cette fente n'existe plus, car la fourchette est coincée. En plus, dans les fentes à droite et à gauche de la fourchette, appelées lacunes latérales, se trouvent des glandes sudoripares qui travaillent de façon naturelle dans un sabot nu. En fait, ce qui est censé être une pourriture de fourchette „parce que çà pue“ n'est souvent rien d'autre qu'un pied qui sue. Chez le sabot ferré, ces glandes sudoripares ne peuvent plus fonctionner correctement, car ils sont coincées. Avec le résultat que l'équilibre chimique du sabot, surtout de la fourchette, est perturbé. C'est la cause la plus fréquente d'une pourriture de fourchette – cela plus une litière pas propre, contaminée d'ammoniaque.

 

Comme le sabot est coincé, il pousse seulement à la verticale, donc de façon conique en longueur, mais pas en largeur. Du fait que la fourchette est coincée, le sabot devient de plus en plus étroit – même si un bon maréchal-ferrand essaie de parer à ce développement, il n'y arrive pas toujours et ce n'est pas de sa faute – pour finir en sabot encastelé En fait, il existe des avis différents sur le sabot encastelé. Beaucoup de vétérinaires et de maréchaux-ferrand ne considèrent un sabot comme étant encastelé que quand il ressemble à ceci:

Sabot extrêmement encastelé d'un Quarter Horse

Selon les spécialistes en sabots nus, l'encastelure commence bien avant, à savoir lorsque la lacune médiane de la fourchette n'est plus visible et les extrémités des talons sont anormalement rapprochées.

 

Quand le sabot marche sur un caillou, la paroi ne pourra plus égaliser le niveau entre caillou et sol car contrairement à la corne, le fer est rigide. Résultat: Ce sont les articulations qui doivent encaisser cette non-égalisation, ce qui mène également à des conséquences négatives... même pas à long terme: il arrive nettement plus souvent qu'un cheval ferré se tord un pied qu'un cheval pas ferré. En plus, la sole du sabot est muni de nerfs qui aident le cheval à tâter le terrain. Dans un sabot ferré, ces nerfs ne fonctionnent plus normalement de sorte que le cheval a le pied beaucoup moins sûr. De l'autre côté, c'est grâce à cette insensibilité que le cheval ferré semble marcher mieux sur du terrain dur, inconfortable.

 

La corne du sabot a un effet de gomme ce qui fait que le cheval ne glisse que minimalement sur un sol lisse comme par exemple l'asphalte. Un cheval ferré par contre adopte un pas glissant; à chaque pas il glisse un peu vers l'avant avec ses antérieurs: un mouvement qui doit être soutenu par les muscles (ce qui mène à des muscles contractés) et dur à supporter pour les articulations et tendons.

Comme la fourchette ne touche plus le sol et le coussinet plantaire ne travaille pas, comme la chair veloutée ne peut plus se dilater et rétrécir, dans les antérieurs jusqu'aux genoux et dans les postérieurs jusqu'aux jarrets, la circulation sanguine est très perturbée.

Thermogramme de deux postérieurs ferrés

 

Thermogramme de 3 sabots nus et 1 ferré

 

Du reste, au moment du ferrage, le sabot est soulevé, donc soumis à aucun poids. A ce moment, la chair veloutée se trouve dans son état rétréci. Et y reste lorsque le pied ferré est reposé par terre...

 

Le fer est fixé avec des clous, et même si on a la possibilité aujourd'hui d'en utiliser moins qu'autrefois (6 au lieu de 8), il faut les enfoncer dans la ligne blanche pour les faire ressortir de la paroi. Le mécanisme de sabot et donc le flux sanguin étant entravés, la corne perd sa souplesse, car elle ainsi que les tissus aux alentours ne sont plus alimentés. Or, pour une bonne qualité de corne, une bonne circulation sanguine est indispensable. Bactéries, microbes et ammoniaque peuvent s'introduire par les trous des clous. Les clous endommagent la chair veloutée et dessèchent et fragilisent la paroi. Dans la période froide, le métal des clous dirige le froid dans le sabot et en baisse la température. Le clou ne se trouve que dans la ligne blanche, mais comme la conductibilité du métal est assez importante, le froid est répandu dans les autres parties du sabot; il ne s'arrête pas à la paroi.

 

Le fer est un métal qui cause des vibrations considérables. Pour s'en rendre compte, il suffit de mettre un fer entre une pince, de le cogner sur une table et de toucher table et fer ensuite. Bien évidemment, pas tous les chevaux marchent exclusivement sur des pavés et de l'asphalte, mais lorsqu'ils le font, la vibration est énorme: en 1984, la cavalerie suisse a fait faire des examens à la faculté vétérinaire de l'Université de Zurich sur l'influence de la ferrure sur le sabot. Résultat: le choc que subit le sabot vivant muni d'un fer en touchant un sol dur est de 10 à 33 fois plus grand que celui d'un sabot pas ferré. La résonance dans la boîte cornée causée par l'oscillation du fer est d'environ 800 Hz par rapport à „seulement“ 150 Hz sur le pied ferré au plastique. Cela signifie que le ferrage cause cinq fois plus de vibrations d'une force considérable (800 Hz = 800 vibrations par seconde!), vibrations qui endommagent le tissus.

Les fers empêchent le développement correct du pied d'un jeune cheval. Aujourd'hui, le cheval est ferré dès qu'on le débourre, donc à 3 ans, voire plus jeune. Or, la croissance du pied s'arrête vers ses 5 ans. En plus, les fers sont tous munis d'un pinçon qu'il faut mettre en place à coups de marteau. Après quelque temps, l'os du pied ressemble à ceci:

A gauche: os du pied d'un sabot ferré aux talons hauts

A droite: os du pied en parfaite santé

Enfin, le fer est un matériel lourd qui, par conséquent, alourdit le pied du cheval. En fait, à chaque fois qu'il lève un pied, celui-ci, dû au poids supplémentaire, oscille pendant un petit moment avant de se poser par terre, faisant souffrir les articulations. De par la nature, le cheval est muni de pieds bien légers. De ce fait, il ne faut pas non plus oublier l'effet psychique sur le cheval: D'un moment à l'autre il se voit ses pieds alourdis considérablement et il se rend bien compte que ceci va rendre plus difficile sa fuite.

Pour finir, les fers constituent une source d'accidents non négligeable pour le cheval comme pour l'homme. C'est la raison principale pourquoi la plupart des chevaux domestiques sont privés d'une vie en harde: une bagarre entre chevaux aux sabots nus n'a normalement pas de conséquences néfastes; à la rigueur, les chevaux subissent quelques éraflures ou des hématomes, mais pas de fractures. Par contre, un cheval qui rue sur un autre cheval avec un sabot ferré cause presque toujours une blessure importante, voire une fracture. Sans parler de fers munis de mordax pas dévissés au pré! Quant aux blessures de chevaux et humains, je sais de quoi je parle: il y a quelques années, ma jument avait subi une ruade d'un pied ferré sur le paturon. Heureusement que l'impact n'a pas eu lieu plus haut, sinon je n'aurais plus de cheval! Ainsi, elle a "juste" eu une plaie avec flégmon, plaie dont la cicatrice est toujours visible. L'autre jour, ma jument qui était à côté de moi s'est effrayée et a fait un écart en sautant de tout son poids sur mon pied droit. J'ai un grand hématome sur le pied, mais rien n'est blessé et je peux marcher normalement. Une camarade australienne propriétaire d'un cheval ferré a eu moins de chance: son cheval effrayé lui a sauté sur les deux pieds et maintenant elle est à l'hôpital avec une fracture compliquée de la cheville droite et un pied gauche cassé.

 

La moyenne d'âge estimée de notre cheval domestique est bien basse quand on considère qu'un cheval pourrait vivre jusqu'à l'âge de 30 à 40 ans. Or, la plupart des chevaux sont euthanasiés avant l'âge et trois sont les causes principales de cette mort précoce: des problèmes de respiration (toux chronique, allergies, emphysème), des problèmes de digestion et de métabolisme (coliques, fourbure) et des problèmes de membres (tendinite, maladie naviculaire). Sans oublier les accidents sus-mentionnés. Bien évidemment, ces derniers problèmes ne sont pas uniquement dus à la ferrure, mais quand on considère tous les effets négatifs du ferrage, il n'est pas étonnant que celui-ci ait un impact sur la santé du cheval.

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